Analyse Semiologique du film HAWA

Analyse sémiologique du film « Hawa » de Arzouma Aimé Kompaoré
Le film « HAWA » peut être analysé sous plusieurs angles dans le fond et dans la forme. Il se présente d’emblée comme un exercice d’écriture cinématographique originale, alliant l’universalité du langage cinématographique aux influences esthétiques africaines. Ce film dont la tonalité d’ensemble grave et sombre nous plonge au cœur d’un drame conjugal, met en évidence un problème individuel et social. Le problème de la relation conjugale confrontée au problème de l’infécondité supposée de la femme.
En choisissant de traiter de ce problème de fécondité, Arzouma Aimé Kompaoré touche un problème social crucial. En effet dans la société africaine, avoir ou ne pas avoir un enfant dans le couple devient une obsession lancinante parce que l’enfant est conçu comme la finalité principale du mariage, un accomplissement de la vocation du couple : perpétuer la vie, transmettre l’héritage de vie clanique ; pour la femme c’est accomplir sa vocation de femme, de mère, d’épouse. La femme qui donne la vie est respectée, sacralisée même, tandis que celle qui n’a pas la chance d’avoir un enfant est stigmatisée, d’office culpabilisée, comme si l’infécondité ne pouvait qu’être le fait de la femme. La plupart du temps d’ailleurs la raison de cette infertilité sera cherchée auprès des guérisseurs qui n’hésiteront pas à y voir un mauvais signe, une tare, une punition divine pour une faute « commise généralement par la femme ». Ainsi la malheureuse femme se trouve doublement stigmatisée et culpablisée, non seulement elle souffre dans son cœur de ne pas connaitre les joies de la maternité, mais elle doit subir ouvertement ou tacitement le discrédit social, voire le mépris ou le rejet jusqu’au point parfois du divorce ou de la répudiation.
On comprend dès lors, que cette question de l’enfant constitue pour l’africain même moderne de nos jours une préoccupation essentielle qui impacte la vie individuelle de la femme, l’harmonie de la vie du couple, et la raison d’être social de l’homme et de la femme. On constate que dans « Hawa » le stigma porté par la femme est aussi porté par l’homme. Les deux ont intériorisé ce drame, et cela a progressivement rongé la joie de la vie conjugale. Progressivement la coexistence plus ou moins pacifique se transforme en routine fade, et chacun des deux membres du couple est renvoyée à ses propres interrogations. Hawa la femme expérimente coup sur coup plusieurs recettes et techniques pour avoir un enfant ; elle ira jusqu’à faire appel à sa famille restée en Afrique pour l’aider à surmonter cette situation insupportable.
Arzouma Aimé Kompaoré ne se contente pas de nous raconter une histoire d’amour familial qui est laminé par l’absence d’un enfant, il situe le drame dans un contexte de vie de migrants aux USA. Un couple d’africains immigrés aux USA, l’une venant d’Afrique de l’Ouest, l’autre de l’Afrique du Nord (Ethiopie ?). Ces exilés pour qui la vie de couple aurait pu être une bouée de sauvetage contre la redoutable sensation de solitude, perdent les repères de leur identité ; l’absence d’enfant engendre l’absence de communication, l’absence de communication entraine l’extinction progressive de la flamme de l’amour. Chacun se replie sur soi, l’homme sur son travail de tous les jours, la femme sur son travail de coiffeuse, et ses sortilèges nocturnes pour tenter de conjurer le mauvais sort et attirer l’enfant tant attendu. Ainsi on peut dire que le drame de l’infertilité devient la métaphorisation de l’échec de l’intégration des migrants africains à la société américaine. Une migration sans un emploi de qualité et une amélioration des conditions et moyens d’existence est comme le signifié au second degré de la stérilité. Le couple de migrant stérile est le symbole de l’échec de la migration. Et pourtant le fait de proposer un couple d’une africaine de l’Afrique de l’ouest et d’un africain de l’Afrique du nord, a un aspect euphorique : les USA comme un creuset, le « melting pot » où les peuples africains fusionnent et deviennent une seule Afrique, un seul peuple. Les différences linguistiques, culturelles, ou de niveau social (un étudiant en fin de formation, une imigrante africaine à la recherche d’un emploi) ne deviennent de véritables problèmes qu’avec la question de l’enfant.

Ces efforts pour avoir un enfant vont s’exprimer de plusieurs manières dans le film. Pour l’essentiel Arzouma Kompaoré s’inspire de sa culture natale. On peut citer entre autres :
Les rituels propitiatoires recommandés par les devins et les guérisseurs traditionnels. Cela va se manifester dès l’entame du film pour les images saisissantes du rituel de l’encens et des fumigations auxquelles se soumet la femme, ainsi que par le port cérémonieux de la ceinture de fécondité magique. Ces pratiques sont courantes dans toutes nos ethnies au Burkina Faso comme dans d’autres pays africains. Les ceintures de fécondité sont une pratique bien connues pour rendre la femme séduisante pour son mari, et pour la prédisposer à la fécondation; l'utilisation de l’encens et des fumigations est supposé avoir un effet à la fois aphrodisiaque et purificateur. L’encens éloigne les mauvais esprits et ouvre la porte aux bons esprits aux petits génies qui pourraient ainsi être tentés de s’inviter dans la famille de la femme ainsi parfumée.
Le troisième élément significatif et l’utilisation du chant traditionnel en langue dagara. De par sa mélodie, cette mélopée envoutante à elle seule raconte la solitude, la souffrance et la quête de la femme. Par son caractère de mélopée à phrases courtes, plusieurs fois répétée, la chanson introductive installe la durée, la répétition, l’espoir envers et contre tout. Incontestablement, le réalisateur du film « HAWA » a assumé ses sources culturelles africaines.
Mais le film « HAWA » ne se résume pas en un film folklorique à dimension anthropologique. La deuxième problématique majeure est celle de la femme et des conditions de son épanouissement dans une vie de couple. Ce problème est universel et humain. Après plusieurs années de vie commune à essayer d’être pour les autres, pour son mari, elle va petit à petit découvrir qu’elle aussi peut avoir droit au bonheur, au plaisir, à la liberté, à son épanouissement personnel. Cette quête initiatique est quelque peu transgressive dans la mesure où elle conduit la femme au seuil de la rupture. Ce drame ou ce conflit intra-personnel, conflit interpersonnel, va se manifester dans l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur ; la maison et les lieux de travail. D’un côté c’est la claustration, la solitude, le silence, les dialogues réduits au minimum, les gestes de l’affection ou de l’amour réduits au minimum : quelques grognements sourds et l’écroulement flasque du mari épuisé après une journée que l’on devine très peu enthousiasmante. La femme elle aussi subit ces rencontres furtives et frustrantes ; elle s’y soumet dans l’espoir que les produits et les « gris-gris » finiront un jour par être opérationnels, mais hélas. C’est au salon de coiffure qu’elle pourra l’espace d’un moment, retrouver un peu de socialisation, de conversation, de joie éphémère et superficielle.

Ainsi, ni pour le mari, ni pour la femme le travail n’offre d’exutoire satisfaisant. L’espoir viendra des autres espaces extérieurs ; l’espace extra-diégétique du pays d’où parviennent les échanges téléphoniques rapportant les nouvelles du pays, et les nouvelles recettes de fécondité. L’espace extérieur c’est enfin la salle de la leçon de danse salsa. Ce grand hall froid va à la grande surprise de la femme lui offrir un rare moment de bonheur, d’excitation et d’éveil des sens entre les bras d’un cavalier de circonstance : le professeur de danse. Tout à coup un monde nouveau, des sensations nouvelles s’ouvrent à elle, et son imagination galopante s’accroche à ce bonheur inattendu, inespéré ; elle se remet à trouver goût à la vie, et son mari s’en aperçoit très rapidement. L’instinct du mâle est immédiatement alerté et pour la première fois, il réalise combien il avait injustement abandonné son épouse. Au moment où, décidé à se racheter il se décide à aller offrir un bouquet de fleur à sa femme en signe d’amour, il découvre ce qu’il considère comme la preuve de l’infidélité de sa femme, dansant aux bras d’un inconnu. Tout est perdu pour lui ; sa douleur est immense, il doit retourner au pays au moment où il croit « avoir tout perdu ». Ce quiproquo final au lieu d’introduire une note d’humour ou de comique confirme le caractère dramatique de l’intrigue : « noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » disait Johnny Halliday.
Prosper KOMPAORE
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